Tenebre by Inconnu(e)

Auteur:Inconnu(e) [Inconnu(e)]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2017-04-20T17:21:09+00:00

17

Sur un crucifix grandeur nature, un couple fait l’amour.

Copule serait plus exact. La femme est dessous, nue, jambes largement écartées, les chevilles liées aux branches de l’instrument de supplice renversé. Elle a les bras ramenés au-dessus de sa tête, et entravés par des menottes clouées dans le montant vertical de la croix. Christ féminin tête-bêche. Elle porte un loup de velours noir. L’homme aussi est nu et masqué. Il s’agite contre sa partenaire en appui sur ses seins, sans hâte ni tendresse, à coups de reins cadencés qui font trembloter la chair gélatineuse de son postérieur grenu. Il ahane en bûcheron soucieux de bien faire.

Autour du couple, sur deux rangs face à face, des silhouettes drapées dans des robes cramoisies, coiffées d’un capuchon pointu, scandent une mélopée monocorde gaie et rythmée comme un blues de moine tibétain. Un officiant secoue un encensoir fumant avec la régularité d’un métronome. Des braseros grésillent un peu partout et font danser les ombres ku-klux-klanesques dans la salle voûtée. Les tristes amants forniquent devant un autel austère, sans autre fioriture qu’un fronton de marbre gravé au symbole de la secte : svastika inscrite à un triangle, T majuscule en médiatrice. L’emblème est recopié à l’infini sur les murs et le costume des adeptes, énorme dans le dos, plus petit sur la poitrine, en médaillon à droite. Le Grand Maître (ou la Grande Maîtresse, difficile à dire, sa tenue ample gomme ses formes) se tient derrière l’autel, mains fourrées dans ses manches. Outre le capuchon, il (ou elle) porte une chasuble violet profond, une ceinture de cuir et le symbole triangulaire matérialisé en pendentif argenté.

Novembre se retient d’éclater de rire. Il se tourne vers le journaliste qui contemple la scène, subjugué.

— Ventoux…

— Vous voyez ? Je ne vous menais pas en bateau !

La voix de Ventoux n’est qu’un chuchotis haleté et fervent – celle de Novembre un murmure furieux.

— Vous vous foutez de moi ou quoi ? Qu’est-ce que c’est que ce carnaval !?

— Je vous avais promis du spectacle…

— Pas une messe noire de patronage ! dit Novembre avec mépris ; j’en ai vues un paquet pendant mon enquête, et vous aussi si vous avez marché dans mes traces comme vous le prétendez, vous devriez pouvoir faire la différence !

— Ne vous laissez pas abuser par les apparences, inspecteur, la secte ne dédaigne pas un décorum quelque peu rabâché, je vous l’accorde, mais rappelez-vous Rachid et Pascal…

Novembre grince des dents et reporte son attention sur la cérémonie qui suit son petit bonhomme de rituel. Le Grand Maître (ou la Grande Maîtresse) a sorti les mains de ses manches pour les croiser sur sa poitrine, contre son pendentif.

— Frères et Sœurs de la Ténèbre !

C’est un Grand Maître. La voix est masculine, un peu chantante et comme déguisée, mais elle marque bien les majuscules. Son phrasé semble familier à Novembre ; souvenir du passé ou mémoire plus récente – il est tout ouïe. En oublie un peu son dépit d’avoir abouti chez une bande de guignols.

Le cantique lancinant a cessé.

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